SERVIR WITTENHEIM SERVIR LA LIBERTE !!
17 Juin 2018
Le Parti socialiste, celui né à Épinay en 1971, va-t-il survivre à l'élection présidentielle de 2017 ? Une (grande) partie de la réponse sera apportée au soir du second tour de la primaire de la gauche, le 29 janvier, avec l'identité du vainqueur. La philosophe Simone Weil, elle, y a déjà répondu dans un petit texte, paru une première fois en 1950 dans le numéro 26 de La Table ronde, sept ans après la mort de l'auteur (décédée et enterrée à Ashford, en Angleterre, en 1943). Gallimard l'avait repris dans Écrits de Londres et dernières lettres (1957). Il est aujourd'hui judicieusement réédité par la petite maison d'édition Sillage. La militante politique et mystique chrétienne – bien que née dans une famille agnostique – plaide pour « la suppression générale des partis politiques ». Et cette réédition, vendue 5 euros, connaît un franc succès en librairie et commence à passer de main en main. Il est vrai que ce texte est d'une piquante actualité.
« Comment donner en fait aux hommes qui composent le peuple de France la possibilité d'exprimer parfois un jugement sur les grands problèmes de la vie publique ? interpelle Simone Weil. Comment empêcher, au moment où le peuple est interrogé, qu'il circule à travers lui aucune espèce de passion collective ? Si on ne pense pas à ces deux points, il est inutile de parler de légitimité républicaine. » Pour y remédier, selon la philosophe, il s'agit de supprimer purement et simplement les partis politiques, « organismes publiquement, officiellement constitués de manière à tuer dans les âmes le sens de la vérité et de la justice ». Argumentation ? Les partis servent une propagande – « celui qui n'en ferait pas disparaîtrait du fait que les autres en font » – et « le but avoué de la propagande est de persuader et non pas de communiquer de la lumière », pointe la philosophe. « Supposons qu'un membre d'un parti – député, candidat à la députation ou simplement militant – prenne en public l'engagement que voici : Toutes les fois que j'examinerai n'importe quel problème politique ou social, je m'engage à oublier absolument le fait que je suis membre de tel groupe, et à me préoccuper exclusivement de discerner le bien public et la justice. Ce langage serait très mal accueilli. Les siens et même beaucoup d'autres l'accuseraient de trahison. Les moins hostiles diraient : Pourquoi, alors, a-t-il adhéré à un parti ? »
Dans cette note, écrite pendant la guerre en Angleterre, alors que le fait majoritaire – consubstantiel au gaullisme d'État – n'a pas encore été inventé en France, Simone Weil met en garde contre un poison : la discipline partisane. « Si je m'apprête à dire, au nom de mon parti, des choses que j'estime contraires à la vérité et à la justice, vais-je l'indiquer dans un avertissement préalable ? Si je ne le fais pas, je mens », souligne Simone Weil. Voilà pourquoi, selon la philosophe, les partis représentent un mal absolu. « Les partis sont un merveilleux mécanisme par la vertu duquel, dans toute l'étendue d'un pays, pas un esprit ne donne son attention à l'effort de discerner, dans les affaires publiques, le bien, la justice, la vérité. (...) Si on confiait au diable l'organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux. »
Ce petit texte pourrait bien devenir le bréviaire des réformateurs de tous poils qui se pressent au portillon de la présidentielle. Les thuriféraires du système le taxeront de naïveté, d'autres d'idéalisme. Sans doute. La lumineuse Simone Weil, du fond de l'Histoire, en appelle simplement à rompre avec le cynisme du système partisan. Il y a de l'Indignez-vous ! de Stéphane Hessel dans cet opus.