SERVIR WITTENHEIM SERVIR LA LIBERTE !!
18 Mars 2018
Dénis Tillinac
Vu de ma fenêtre. Est-il besoin d’ouvrir la voie aux pires dérives en légiférant davantage sur la fi n de vie, qui actuellement se passe souvent en douceur et en responsabilité partagée entre le corps médical et la famille ?
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Il y a dans son regard une fixité hagarde. Reconnaît-elle son fils ? On n’en jurerait pas. Des sondes alimentent un corps décharné qui ne peut plus bouger, juste se contracter au plus extrême de la souffrance. Alors des gémissements émanent de ses lèvres décolorées. Son mal est incurable. Elle peut “tenir” un mois, peut-être deux : telle est l’opinion du médecin. Il refuse de la “débrancher”, ce serait commettre un assassinat. Mais il propose au fils d’augmenter les doses de morphine : en diminuant la souffrance, il hâtera la fin d’une semaine, peut-être de deux. Le fils accepte.
Ce scénario est fréquent dans les hôpitaux ou les Ehpad, quand une personne très âgée est au bout de son rouleau. Pas d’“acharnement thérapeutique”, formule consacrée, mais pas non plus d’acte antithérapeutique — et partage des responsabilités entre le corps médical et la famille. En conséquence, nul besoin de légiférer comme l’exigent les partisans de “mourir dans la dignité”, forme équivoque.
Qu’est-ce que la dignité ? Comment définir celle d’autrui ? Remontons le temps d’une année. La même très vieille dame, déjà condamnée et souffrante mais consciente de son état, a dit maintes fois à son fils qu’elle préférerait mourir. Pourtant un pâle sourire éclaire son visage chaque fois qu’elle le voit entrer dans sa chambre. Ce sourire ne dure pas, il est vrai ; il contredit son souhait d’en finir au plus vite. Doit-on prier le médecin de se faire le complice d’une velléité de suicide ? Bien sûr que non. Donc aucune loi ne doit autoriser quiconque à zigouiller un parent ou un patient sous prétexte de lui éviter une agonie d’une durée indéterminée, et fatalement affreuse.
Sinon les médecins seront invités à “débrancher” au moindre coup de blues d’un vieillard. Parce que l’Ehpad coûte cher. Parce qu’un héritage se fait attendre. Parce qu’on est las d’aller visiter pour soulager sa conscience un père ou un grand-père qui perd la boule. Un peu ou beaucoup. Chacun est libre d’attenter à ses jours, soit. La question du suicide “médicalisé” à la mode suisse ou belge peut se poser quand un adulte se sachant condamné à terme, refuse sciemment d’endurer le processus prévisible de son agonie. Ces cas sont aussi rares que les “acharnements thérapeutiques” ; en les invoquant pour légiférer, on ouvre la voie aux pires dérives.
Tout aussi rares, encore qu’indûment médiatisés, les cas où une personne survit dans un état plus ou moins comateux. Ça peut durer des années — et les mêmes partisans du suicide assisté militent pour que l’on débranche. Plongé dans le coma en 1982 par suite d’une anesthésie mal dosée lors d’une opération bénigne, l’ancien footballeur international Jean-Pierre Adams est toujours vivant. Son épouse a toujours refusé qu’on lui donne la mort, considérant que dans un univers mental dont nous ignorons tout il la reconnaît. Qui prouvera le contraire ? Elle a fait un choix, courageux en l’occurrence, il faut le respecter. De même, il faut respecter celui des parents de Vincent Lambert. Leur refus de permettre que l’on achève leur fils a suscité de vaines controverses.
Faire passer un humain de vie à trépas est un crime proscrit par la loi, sauf dans les pays où la peine de mort n’a pas été supprimée. Les “directives anticipées” qu’une personne a pu signer ne changent rien au fond du problème. Les pensées, l’imaginaire, les émotions d’un être sont tellement variables. On peut signer le document à la faveur d’un coup de blues et oublier de le détruire après qu’on a changé d’avis. Un médecin violerait le serment d’Hippocrate en respectant une “volonté” — notion que vingt-cinq siècles de philosophie ont échoué à définir. Le plus sage est de s’en tenir à la loi Leonetti.