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SERVIR WITTENHEIM SERVIR LA LIBERTE !!

Quelles réformes pour le capitalisme ?

À deux jours du sommet du G20, qui se tiendra samedi à Washington pour refonder le capitalisme, «Le Figaro» poursuit sa série sur les réformes à envisager pour éviter de retomber dans les dérives récentes. Aujourd'hui, le deuxième volet s'intéresse à l'éthique en économie.

• L'heure est venue d'aborder les affaires avec une nouvelle philosophie

Par Klaus Schwab, fondateur et président du Forum économique mondial de Davos. Il prône de nouvelles exigences éthiques dans le monde de l'entreprise.

Avec le recul, nous sommes tous surpris que les choses aient dû aller aussi loin. Mais soyons honnêtes : les signaux d'alarme, y compris ceux émis par des initiés comme George Soros, retentissent depuis un certain temps déjà. Lorsque le World Economic Forum a publié son Global Risk Report début 2007, il mettait justement en garde contre ces mêmes risques qui ont entraîné l'actuel effondrement du système.

Dans mon allocution d'ouverture lors de la réunion annuelle du Forum à Davos en janvier 2008, j'ai évoqué un monde schizophrène et le fait que nous aurions à rendre compte de nos péchés. Si nous avons ignoré ce qui était pourtant évident, ce n'est pas seulement parce que nous ne voulions pas voir des vérités dérangeantes, c'est aussi parce que personne ne se sentait réellement responsable de la situation ou en mesure d'agir.

Notre système international, créé au milieu du siècle dernier et fondé sur des institutions multilatérales, manquait soit de l'autorité, soit de la compétence nécessaire pour faire face aux défis d'un système financier mondial qui s'est emballé. Qui plus est, les gouvernements n'ont pas pris l'initiative de s'attaquer à un système financier fondamentalement restrictif, que ce soit pour défendre leurs intérêts nationaux ou pour des raisons idéologiques. Quant au G7, qui réunit les sept pays les plus industrialisés, et au Fonds monétaire international, ils n'ont pas su faire preuve de la vision à long terme indispensable. Des acteurs ont abusé, consciemment ou inconsciemment, de l'absence de fonctions de réglementation au grand détriment des économies publiques nationales. Cela s'est fait aussi malheureusement au détriment de la population. Ce n'est qu'aujourd'hui que des « sommets mondiaux de la finance » commencent à élaborer des règles dont le besoin se fait sentir depuis longtemps. Reste à savoir si nous serons capables de mettre sur pied une « communauté mondiale » qui trouvera le bon équilibre entre la réglementation nécessaire et le maintien de l'esprit d'entreprise. Il est désormais plus important que jamais de ne pas laisser caler le moteur de l'économie réelle, surtout au début d'une phase de récession, pour sauvegarder l'emploi.

Si le rôle de la réglementation pour l'avenir de l'économie mondiale est indéniable, les règles à elles seules ne suffisent pas. Cette crise a clairement démontré non seulement notre interdépendance à l'échelle planétaire, mais aussi l'étroite interconnexion entre l'économie et la société. En d'autres termes, l'économie n'a rien d'un royaume indépendant ou autonome ; au contraire, la crise a montré que l'économie doit servir la société. Nous devons veiller à ce que les mesures prises pour enrayer la crise ne portent pas atteinte au pouvoir d'innovation dans l'économie réelle.

J'ai fondé le World Economic Forum en 1971 sur la base de la stakeholder theory (« théorie des parties prenantes ») que j'ai décrite dans un livre. Selon cette théorie, qui a aussi fait office de philosophie du World Economic Forum ces quarante dernières années, les dirigeants d'une entreprise doivent servir toutes les parties prenantes en contact avec la société. Il ne s'agit pas d'être au service des actionnaires uniquement ; cela signifie que pour assurer la prospérité à long terme de la société, ses dirigeants doivent agir en qualité de représentants de toutes les parties prenantes, et non en simples délégués des actionnaires.

Cette mission globale et professionnelle de gouvernance a été minée ces dernières années par les bonus et autres systèmes qui lient le management aux intérêts à court terme des actionnaires. La recherche du profit maximum a pris de plus en plus le pas sur le renforcement à long terme de la compétitivité et sur la durabilité.

J'ai décrit cette perversion de l'éthique professionnelle des dirigeants de la manière suivante : lorsque j'ai été opéré il y a quelques années, je savais très bien que ma qualité de vie, à l'avenir, dépendrait dans une large mesure des compétences du chirurgien. C'est pourquoi je me suis adressé au meilleur spécialiste dans son domaine. J'ai supposé tout naturellement que j'étais entre les mains d'un médecin qui mettrait en œuvre ses meilleures compétences professionnelles sans exiger une part de mes revenus futurs - dès lors que cela dépendrait bien sûr de son savoir-faire - en plus de sa rémunération.

Ce dont nous avons besoin pour l'avenir, c'est d'une philosophie de management basée sur une éthique professionnelle et non sur la recherche du profit maximum. Il va de soi que les dirigeants hautement qualifiés sont largement payés, dans un environnement compétitif international. Cela dit, les dirigeants dotés d'une qualité morale élevée devraient toujours faire de leur mieux dans toutes les situations, ce que, nul doute, bon nombre d'entre eux font, sans avoir besoin de mesures d'incitation additionnelles comme les bonus.

Peut-être faut-il créer un équivalent du serment d'Hippocrate des médecins dans le domaine du management, qui intègre cette notion de responsabilité globale. Si nous ne sommes pas capables d'instaurer une responsabilité globale à long terme pour les dirigeants d'entreprise dans tous les secteurs de l'économie, les nouvelles règles et réglementations ne serviront à rien, car il y aura toujours des échappatoires.

En temps de crise, il importe de freiner la spirale causée par les erreurs du passé et d'éviter tout dommage supplémentaire. Mais il est encore plus important de ne pas agir à l'aveuglette, de manière superficielle. Nous devons identifier les problèmes fondamentaux et modifier notre comportement en conséquence. En cela, la crise actuelle sera, espérons-le, un facteur de changement.

Dans l'avenir immédiat, il est essentiel de mettre en place un partenariat global réel afin de surmonter les effets négatifs de nos instruments financiers et de progresser sur les autres défis mondiaux à relever, comme le changement climatique, la lutte contre la pauvreté ou la santé. Il existe aujourd'hui un danger : celui que ces questions fondamentales ne soient remisées au second plan. Avec les mêmes conséquences désastreuses qui ont découlé du fait que nous ayons ignoré les signes avant-coureurs de la présente crise financière.

J'espère que l'adoption volontaire d'une philosophie des affaires basée sur le principe à long terme du stakeholder (partie prenante) plutôt que sur le principe unilatéral et orienté à court terme du shareholder (actionnaire) sera un des résultats positifs de cette crise.

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